Éoliennes

Quand les Don Quichotte ne sont pas ceux que l’on croit

On appelle souvent les associations de riverains qui se mobilisent contre tel ou tel projet d’infrastructure des Robins des Bois. En ce qui nous concerne, nous serions plutôt des Don Quichotte luttant contre les moulins à vent modernes que sont les éoliennes. Pourtant, dans cette affaire, les Don Quichotte ne sont pas ceux que l’on croit. Quelques éléments pour démontrer que la lucidité, le réalisme et la volonté de changement face à l’urgence climatique sont plutôt du côté de l’Association « Vues sur les Monédières ».

Quelques rappels

L’énergie hydraulique est historiquement prédominante en Corrèze

Nous avons la chance de disposer d’une enquête statistique établie sous le 1er Empire de Napoléon 1er en 1809 par les préfets, à la demande du Ministre de l’Intérieur. Faisant suite à une première enquête de la Commission des subsistances de la toute jeune République Française, en 1793, il s’agit de recenser les moulins sur l’ensemble du territoire national. Après la période révolutionnaire, ce sont les préfets qui sont chargés, dans le ressort du département nouvellement créé, de recenser moulins à farine et usines exploitant la force motrice hydraulique et éolienne.  Pour les moulins à eau sont précisés le nombre de moulins, de meules et de types de roues, verticales ou horizontales (ces dernières fortement majoritaires dans le Sud-Oues de la France).

Dans les décennies précédant la révolution industrielle[1], il faut se représenter l’enjeu que représente l’énergie pour le 1er Empire – tant militaire et industriel qu’alimentaire. Il n’est pas inutile de rappeler que Tulle figure parmi les manufactures d’Etat pour la fabrication d’armement, qui sera longtemps alimentée exclusivement par l’énergie hydraulique.

La Corrèze possède à l’époque 1806 moulins. Alors qu’elle se situe dans les tous premiers départements français pour les moulins à eau – 1763 moulins à eau (à roue horizontale pour une écrasante majorité), soit un moulin pour 145 habitants à l’époque – elle est en queue de peloton pour les moulins à vent, seulement 43 moulins en tout et pour tout !


Les moulins à blé en France en 1809
Source Persée « Moulins à blé à roue horizontale, localisation en France en 1809 » Henri Poupée, cité par Claude Rivais, Maître assistant de sociologie, Université de Toulouse-Le Mirail)
Les implantations de moulins à vent en France en 1809
Source : Rivals Claude. Divisions géographiques de la France indiquées par une analyse des moulins en 1809. In : revue géographique des Pyrénées et du sud-ouest, tome 55, fascicule 3, 1984. Pp. 367-384 https://www.persee.fr/doc/rgpso_0035-3221_1984_num_55_3_4611

Cette prédominance des moulins à eau sur les moulins à vent relève du simple bon sens. Alors que le département regorge de cours d’eau, il est l’un des départements les moins venteux de France.

Un département très peu venteux

En 2017 par exemple, la vitesse moyenne maximale du vent en Limousin était de seulement 33km/h (15ème sur 20 régions), et la Corrèze figure parmi les départements les moins venteux de France (cf. carte de la force des vents). Les parcs éoliens terrestres ne fonctionnant à puissance maximale, en moyenne, que 24% du temps, compte tenu de l’intermittence du vent, il n’est pas besoin d’être un expert pour comprendre que le jeu n’en vaut pas la chandelle. En outre, il n’est pas inutile de rappeler que l’hydroélectricité continue de représenter l’essentiel de l’électricité renouvelable produite[1] en France.

Un territoire auto-suffisant en énergie

La Corrèze est par ailleurs un département auto-suffisant en énergie. Comme le rappelle l’article 18 de la séance du Sénat du 17 février 2015, l’énergie hydraulique participe à l’auto-suffisance du département en matière de consommation électrique, avec 1500 MW de capacités implantées en Corrèze ou à proximité. C’est ainsi que les 113 communes du Parc Naturel Régional des Millevaches ne consomment qu’une partie de l’électricité qu’elles produisent[1]. A plus grande échelle la Société hydroélectrique du Midi, qui exploite cinquante-huit usines et douze grands barrages répartis en Corrèze mais aussi en Nouvelle Aquitaine et en Midi-Pyrénées, produit une quantité d’électricité équivalant à la consommation de 1 million d’habitants ou, si l’on préfère, à la production d’un réacteur nucléaire. Sans compter le bois et ses dérivés, énergie elle aussi renouvelable, dont moins de 10% dont utilisés par la filière bois-énergie.

Energies renouvelables : transition ou changement de modèle ?

Dans  ces conditions, pourquoi s’acharner à implanter des parcs d’éoliennes dans une région peu venteuse et déjà bien dotée en énergies renouvelables ? Certes, ces parcs sont censés créer des emplois et apporter à terme des revenus aux collectivités concernées (dans quelle proportion, on l’ignore encore). Mais au-delà ? Ce qui est certain, c’est que derrière les sociétés spécialisées dans l’implantation d’éoliennes, on retrouve les grands groupes du secteur de l’énergie (nucléaire mais aussi gazière ou pétrolière), attirés par les énergies renouvelables pour verdir leur image mais aussi obtenir, par le jeu des tarifs de rachat d’électricité particulièrement « incitatifs » concédés par l’État, des profits substantiels.

Au-delà de ces considérations, une double question nous est posée. Celle de la réalité d’une transition énergétique via les énergies renouvelables, face au péril climatique et écologique que nous devons affronter. Celle du développement de notre territoire.

  • La transition énergétique est-elle une réalité, ou même seulement une volonté, quand l’énergie renouvelable produite localement est réinjectée – c’est-à-dire « noyée » – dans des réseaux nationaux alimentée pour l’essentiel par l’énergie nucléaire[1] et les énergies fossiles ? Comme le rappelle Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences des technologies et de l’environnement et chercheur au CNRS., co-auteur, avec Christophe Bonneuil, de « L’Événement Anthropocène », il n’y a jamais eu de transition énergétique, mais une accumulation des sources d’énergies exploitées sans aucunes limites que celle des ravages causés à notre planète.
  • Le développement de nos territoires est-il un des objectifs des efforts gouvernementaux en matière d’énergies renouvelables, ou même seulement une vraie volonté ? On peut également en douter, quand l’on compare avec les revenus générés au siècle dernier par des énergies renouvelables produites et consommées localement et attirant autour d’elles des activités économiques qui nous font aujourd’hui cruellement défaut. La manufacture d’armes, mais aussi l’usine de La Marque à Tulle, aujourd’hui disparue, sont de bons exemples de synergie entre infrastructures de production d’énergie hydraulique locales et développement économique[2].
L'usine de La Marque à Tulle au début du 20ème siècle
Source http://www.agglo-tulle.fr/usine-de-la-marque

On peut donc légitimement se demander si transition énergétique et développement du territoire ne sont pas des miroirs aux alouettes. Ne s’agit-il pas plutôt de réquisitionner le territoire pour le développement d’une économie mondialisée dans laquelle l’auto-suffisance énergétique et le développement de nouveaux bassins économiques dans une logique d’économie circulaire et de filière n’ont aucun sens ?

Les énergies fossiles ont la vie dure. La pensée fossile également. Même dans le domaine des énergies renouvelables, on voit bien que le modèle et les critères de la pensée dominante qui est celle des pouvoirs publics sont restés ceux de l’après-guerre, quand la solidarité nationale imposait un mode d’exploitation centralisateur des ressources et des réseaux. La production et la distribution de l’énergie peuvent-ils continuer à se faire en faisant l’économie de repenser la notion de territoire et en dissociant énergie et développement territorial ?  Je suis persuadé du contraire.

Jean-Marie CHASTAGNOL


[1] Rappelons que la France produit les trois quarts de son électricité grâce aux centrales nucléaires

[2] L’usine de la Marque, à l’origine un moulin établi à la fin du 16ème siècle par le Seigneur de la Marque et aménagé au cours du XIXe siècle, hébergera successivement une usine à fer, une tannerie, une fabrique de cycles (Clément-Bayard), puis les établissements Continsouza (production d’appareils de cinéma, puis d’armes, de machines à coudre sous la marque MIP).


[1] Extraits le journal IPNS – Journal d’information et de débat du plateau de Millevaches https://www.journal-ipns.org/


[1] En 2012, l’énergie hydraulique a produit 6 fois plus d’électricité que l’éolien et 12 fois plus que le solaire.

[1] Les moulins hydrauliques semblent subir une très forte concentration, puisqu’en 1849 on n’en comptabilise plus que 795 et en 2018 470, auxquels il faut ajouter 15 minoteries à eau et 29 minoteries à cylindres en 1918.